FFM2016 – 34e Fête fédérale de musique à Montreux

Prestations | 12.06.2016

Ce samedi 11 juin 2016 rimait pour la Landwehr de Fribourg et plus de 25’000 musiciens à travers le pays comme le début de la Fête fédérale de musique de Montreux. Des mois de préparation ardue, intense, des semaines de concentration sur cet événement qui ne se produit que tous les cinq ans. Il faut tout donner pendant une heure de musique, un peu à l’image d’un coureur ou d’un sportif. Cela suppose une préparation musicale et mentale de fond, ce à quoi Landwehriens et autres musiciens du pays se sont attelés avec enthousiasme, pour l’amour de la musique et de l’excellence.

Pour la Landwehr, tout a commencé ce 11 juin 2016 par un petit-déjeuner au local de répétition à 7h30, dans le crachin d’une journée pluvieuse. A 8 heures, une brève répétition au local avant le départ en bus pour Montreux. A l’arrivée, notre commissaire nous attend pour nous amener dans un local au-dessus de l’Auditorium Stravinsky, afin de nous permettre de déposer nos instruments, de nous concentrer et pour certains de faire part à une journaliste de la RTS de l’état de leurs impressions. Ainsi, Nicolas Gauderon, 1ère clarinette et Landwehrien depuis 11 ans, souligne ceci : « Le but de la musique, ce n’est pas de faire des points. Le but de la musique, c’est de transmettre un message, c’est de transmettre une émotion » (19h30 RTS, Samedi 11 juin).

Encore faut-il, pour transmettre l’émotion et le message, être en bonne forme physique, raison pour laquelle chacun déguste encore un petit sandwich pour éviter d’avoir faim sur scène. C’est alors le moment d’un raccord dans une salle d’un hôtel voisin. Il est 11 heures. Il faut sortir, préparer son instrument, jouer quelques passages, se concentrer et écouter les dernières paroles de motivation de notre cheffe, Isabelle Ruf-Waeber.

Les musiciens sont prêts à entrer sur scène. L’Auditorium Stravinsky et son acoustique exceptionnelle les attendent. 12h30. Les organisateurs n’avaient pas ouvert les portes, de sorte qu’il faut attendre l’arrivée des auditeurs dans la salle, puis la mise en place du podium de chef, pour débuter avec un peu de retard. Mais tout va bien.

Les six jurys, trois pour le morceau imposé, trois pour le morceau de choix, sont prêts ; ils devront entendre plus de quinze sociétés durant deux jours. Pour eux aussi, il s’agit d’une épreuve importante, qui requiert une grande concentration et qualité d’écoute, ainsi qu’une aptitude à juger de manière la plus objective possible.

La cheffe, Isabelle Ruf-Waeber, entre sur scène ; les musiciens se lèvent. On sent la concentration et la volonté de bien faire qui règne sur la scène. Silence. « Madame la directrice, musiciennes et musiciens, vous avez une minute pour tester l’acoustique » annonce la présentatrice, Nathalie Falcone. Un choral exécuté avec amplitude et une belle sonorité vaut test acoustique. Le concours commence.

La pièce imposée : Guernica de Jean-François Michel. Composition atonale qui exige de chaque musicienne et musicien une concentration maximale, une maîtrise technique de tous les instants afin de laisser percevoir la musicalité de l’ensemble. Ce récit des impressions laissées par le tableau de Guernica de Picasso et de la guerre produit des instants puissants qui s’opposent à des moments plus fugaces d’introspection. Une pièce certes technique, mais aussi exigeante dans la coordination, la musicalité et la précision. Bref, une vraie pièce de concours. Une hésitation ici, une tension là, mais la pièce tient bon, les solistes s’expriment avec beaucoup de musicalité. Merci à eux aussi ! Applaudissements nourris, puis attente durant la mise des notes par les trois experts en charge. La tension demeure vive et la concentration reste celle de tous les instants.

 

  • Photo: Laurette

  • Photo: Laurette

  • Photo: Laurette

La pièce de choix : Gilgamesh de Bert Appermont. Il s’agit d’une œuvre moderne, fantastique et de grande classe. Gilgamesh est un défi pour les musiciens, mais cette pièce ouvre aussi de nouveaux horizons au public. L’histoire de Gligamesh tient sur quelque 25’000 tablettes d’argile, qui ont été retrouvées vers le milieu du 19e siècle. Plusieurs années de travail furent nécessaires pour traduire cette vieille épopée sumérienne. L’histoire a inspiré une première symphonie époustouflante de Bert Appermont. Le héros de l‘épopée, Gilgamesh, est à deux tiers dieu et à un tiers humain. Etre sauvage et intrépide, il possède des forces physiques hors du commun. Afin de calmer ce souverain despotique et violent, le dieu du ciel fait créer un être d’argile, Enkidu. Celui-ci acquiert la raison au contact d’une femme et se transforme alors en homme. Le combat entre Gilgamesh et Enkidu se termine de manière indécise ; il n’en reste pas moins que cela amène notamment les bois à aligner les montées et les descentes de notes à un rythme vertigineux ; les graves ne sont pas en reste, alors que les trompettes, cors et trompettes interviennent parfois de manière péremptoire, parfois de façon virtuose dans un courant de musique où force et intensité s’expriment admirablement. Alors que Gilgamesh et Enkidu se réconcilient, ce sont le hautbois, le saxophone alto et le cor anglais qui nous émeuvent au plus profond de notre être. La salle de l’Auditorium Stravinsky le perçoit ; on sent les pulsations cardiaques de tous battre pratiquement à l’unisson. La bonté d’Enkidu le perdra toutefois, puisqu’il sera frappé d’une maladie que lui a envoyée le roi et il mourra dans un souffle accompagné par un ostinato de harpe exceptionnel. Tonnerre d’applaudissements après un silence aussi fort que la musique qui a précédé.

A la sortie, c’est la satisfaction qui domine, même si chacun est conscient de certaines imperfections. La musique est un art exigeant. Nicolas Gauderon résume bien le sentiment des musiciens : « On a pu entendre des applaudissements assez chaleureux. Cela nous fait extrêmement plaisir. C’est pour ces moments-là aussi que l’on fait de la musique ».

Au final, les jurés auront noté assez sévèrement la 1ère pièce (88 points), non sans raisons sans doute, mais les 93 points de la pièce de choix sont eux aussi l’expression d’une belle récompense pour la cheffe et ses musiciennes et musiciens. Le résultat des notes est au final un peu moins bien que ce que les musiciennes et musiciens espéraient, il reflète un moment et une appréciation. Il n’en reste pas moins que le travail vers la Fédérale fut intense et beau et que cette journée laissera de fortes émotions à chacune et chacun. Lorsque la société est devant dans le classement, on est plus heureux ; lorsque tel n’est pas le cas, on est forcément un peu triste, oubliant parfois trop rapidement l’exceptionnel moment de musique vécu ensemble. C’est normal, mais comme les sportifs, il faut aller de l’avant et penser déjà au prochain acte, une tournée de concerts au Costa Rica du 27 juillet au 8 août 2016.

Le concours de marche s’est fait attendre, puisqu’après un repas dans la cantine, il a fallu patienter jusqu’à 18h40 pour se présenter en rangs impeccables pour un défilé sous les sons de Men of Ohio, très belle marche en 6/8 qui aura ponctué de belle manière (et avec 89 points) cette journée de la FFM2016 mode Landwehr. Une belle expérience, intense, émotionnelle, qui marquera chacun des musiciens, mais aussi le public présent. Bravo à Isablle Ruf-Waeber de tout son travail et aux musiciennes et musiciens pour ce beau défi largement positif.

Pascal Pichonnaz